mardi 10 mai 2011

Lorsque le seuil de tolérance d'un poison à effet lent est dépassé et qu'on n'y peut rien... que faire ? C'est simple, on le relève ! D'un facteur 20 ! Et hop !

Grand guignol et "scientifisme" 
ou qu'est ce qu'un "seuil de tolérance" ?

Dépêche de l’AFP vendredi 29 avril. 



 Une scène surréaliste (lien) qui aura au moins le mérite de mettre en lumière la notion extrêmement ambiguë et opportuniste de "seuil de tolérance" : le professeur Toshiso Kosako, en larmes, démissionne de son poste d'expert car dit-il, le gouvernement, se fondant sur d'autres  "experts " (!) envisage un relèvement du taux admissible de radioactivité dans les écoles, sur les aires de jeux etc...  tenez-vous bien, de 1 mSv/an à 20 mSv/an soit 20 fois plus… taux annuel admis pour les professionnels du nucléaire en France. (1 mSv est la dose d’irradiation reçue en moyenne lors d’examens médicaux par la population française chaque année.) Selon M. Kosako, ce sont des mesures fantaisistes liées simplement aux circonstances de la catastrophe. Une voiture roule avec le voyant rouge indiquant une surchauffe ?... c'est simple, on casse le voyant comme ça tout le monde est tranquille. (Note : je croyais que les japonais ne pleuraient jamais, encore une idée fausse.)


De fait, les chiffres doivent donner lieu des calculs approximatifs : ainsi, le 27 avril selon la chaîne publique japonaise reprenant des données du JAIF (Japan Atomic industrial forum), il était évoqué des " niveaux de radiations, dans certaines écoles, supérieurs aux limites édictées par le gouvernement central de 3,8 microsieverts par heure " (2). Une petite multiplication et on obtient 33 millisieverts, 33 fois la dose admissible, une paille…  par rapport aux 20 millisieverts qui ont bouleversé M. Kosako. De plus, une phrase sibylline de Kyodo news (3) interroge :  " des sources ont révélé que le système japonais chargé de recueillir les données, lors d’un accident nucléaire, sur le volume de radioactivité n’avait pas fonctionné le 11 mars suite au séisme et au tsunami, par manque de courant  ". On se demande donc ce qui a bien pu être mesuré sur le terrain, en termes de radioactivité dans les premières heures voire premiers jours de la catastrophe. Si ce n’est par des unités mobiles, des voitures équipées de systèmes de mesure portatifs.

Aujourd’hui, deux mois et demi après le début de la catastrophe, de la fumée blanche continue à être émise par les réacteurs 2 et 3. Autrement dit de la vapeur contenant certainement de la radioactivité. Rappelons que, comme le note l’AIEA, les cuves contenant les cœurs de ces deux réacteurs sont à pression atmosphérique c’est-à-dire que l’intérieur est en équilibre avec l’extérieur via des fissures ou des valves (ou tuyaux) ouverts. On ne doit pas pouvoir s’en approcher pour l’instant. En revanche, selon TEPCO (!) sur le réacteur n°1, l’installation d’un tuyau (certainement avec filtre) de façon à améliorer l’environnement de travail dans le bâtiment réacteur a commencé.  Autour de l’unité n°4, dont le bâtiment a été ravagé par une explosion hydrogène dans la piscine de combustible usagé, un camion automatique équipé de chenilles et d’une benne basculante à répandu ce 2 mai un inhibiteur de poussières. Un gel fixateur et assez recouvrant pour protéger des radiations ? Cela n’est pas précisé. 

Le Premier Ministre japonais se trouve en très mauvaise posture. Le Parlement, a voté ce lundi un budget d’urgence de 49 milliards de dollars, pour la reconstruction des zones dévastées.

1)    ICRP www.icrp.org
2)    Dans ces écoles, il est actuellement procédé à un décapage du sol, qui est ensuite mis sous des bâches pour diminuer la radioactivité ambiante. Consulter http://www.jaif.or.jp/english/news_images/pdf/ENGNEWS01_1...

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Et ce n'est pas tout !

De l’uranium de Fukushima en Californie ?

Il y a une semaine a été annoncé par la Low level radiation campaign (LLRC (3) que de l’uranium issu de Fukushima a été détecté en Californie après analyse des données recueillies par l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA).
La LLRC explique que des niveaux élevés d’uranium ont été trouvés dans les filtres de l’EPA dans le Pacifique nord, et qu’elle a réanalysé des données récentes publiées sur le site RADNET de l’EPA pour les Iles Marianne (à 2800 km au sud de Fukushima), Hawaï, la Californie et Seattle (pièce jointe sur le site de la LLRC). Cette reprise des données sur un graphe permet de voir clairement la baisse des niveaux (mesurés en nanobecquerels [milliardièmes de becquerels] par m3) quand on s’éloigne du Japon, en passant par les îles, puis à Hawaï, enfin à Seattle et en Californie (où les mesures dépassent tout juste le bruit de fond)... d’où l’anomalie d'avoir trouvé des niveaux élevés d'uranium dans le Pacifique nord... et l'inquiétude selon laquelle le Japon est bien plus fortement contaminé ( "comme nous l’avons prédit ". ) Et la LLRC d’insister : Il est extrêmement préoccupant qu’aucune donnée concernant uranium et plutonium n’ait été publiée par les autorités du pays.
De son côté, l’ingénieur nucléaire Arnie Gundersen – sur une vidéo postée le 26 avril – mentionne lui aussi que du plutonium a été retrouvé en poudre fine ainsi que de l’américium [un produit de fission] en Nouvelle Angleterre (nord-est des Etats-Unis), ces remarques survenant à l’occasion d’une nouvelle analyse de ce qui s’est passé depuis le 14 mars : l’explosion phénoménale de l’unité 3. Comment une telle explosion (très verticale et puissante, emportant des débris et des éléments très sombres, explosion très différente de celle de l’unité n°1) a-t-elle pu se produire : le cœur du réacteur était-il à l’air ? (accident majeur). Il émet une hypothèse : une première et violente réaction à l’hydrogène venue des dégagements dans le réacteur n°3 aurait provoqué une onde de choc ébranlant les combustibles dans la piscine n°3 : sa structure bouleversée, il aurait alors eu une réaction nucléaire prompte qu’on pourrait comparer à une sorte de micro-explosion nucléaire avec pour résultat principal la désagrégation de morceaux de combustible et l’envoi dans l’atmosphère de toutes sortes d’aérosols contenant des produits de fission, certains ayant ensuite voyagé par delà le Pacifique.
Sur le site de l’université de Berkeley, à la question "Le site du llrc est-il exact ?" certains contestent que les uranium (234 et 238) détectés en Californie viennent forcément de Fukushima, évoquant la possibilité qu’ils émanent de certaines centrales à charbon chinoises ou de tornades de poussière renvoyant dans l’atmosphère des particules issues des essais nucléaires militaires… la seule vraie preuve serait la détection de plutonium (car cet élément n’existe pas naturellement) jusqu’aux Etats-Unis.

Secret et corruption
Le secret à présent, omniprésent, et ses causes. Un article particulièrement virulent du New York Times (8) dénonce la corruption pratiquée par TEPCO envers les politiciens japonais (4 personnalités officielles ayant rang de ministre sont devenues vice-présidents de la compagnie) et la collusion entre agence de sûreté, opérateurs et politiques depuis des décennies.
L’opérateur de Fukushima Daiichi annonce ses nouvelles évaluations : le réacteur 1 aurait fondu à 55%, le n°2 à 35% et le n°3 à 30%. Quant aux mesures de plutonium sur des échantillons près de la centrale, elles sont de l’ordre de 0,2 Bq/kg (9).


3)      http://www.llrc.org/index.html. Cette organisation a été lancée par Christopher Busby, scientifique britannique connu pour ses positions très actives – et controversées- contre les dangers des très faibles doses de radioactivité.
5)      Selon l’AIEA (agence internationale pour l’énergie atomique), ce 27 avril, "de la fumée blanche continue d’être émise par les unités 2 et 3" et "70 000 tonnes d’eau de très haut niveau de radioactivité continuent de stagner dans le sous-sol des bâtiments turbine des unités 1,2 et 3". http://www.iaea.org/newscenter/news/tsunamiupdate01.html
6)      Aucune analyse nouvelle sur le sujet n’a ainsi été publiée par l’IRSN depuis le 20 avril.
7)      Voici ce qu’il dit sur sa vidéo :  " A plausible reason is that a hydrogen acute reaction started which then caused the shock wave which started to move and distort the nuclear fuel. The distorsion of the nuclear fuel in the pool creates a prompt nuclear reaction which then blows the rubble out of the pool up in the plume and creates the energy needed to create a dramatic event that we are seeing at Fukushima unit 3. "
9)      http://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/11042711-e.html


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20.04.2011

FUKUSHIMA (suite 33) L'inquiétude de scientifiques français

EN ANGLAIS http://deciphering-fukushima.blogs.sciencesetavenir.fr/


Mercredi 20 avril. C’est un « appel [aux scientifiques]» que nous avons reçu aujourd’hui à Sciences et Avenir et avons décidé de publier sur le site du magazine (1). Il vient de M. Harry Bernas, spécialiste des effets d’irradiation dans les matériaux et ancien directeur d’un laboratoire CNRS de physique nucléaire. « Où sont les scientifiques ? » s’interroge-t-il. « Après Three Mile Island et Tchernobyl, Fukushima symbolise un véritable changement pour l’avenir de l’humanité, et exige que les scientifiques dépassent le rôle d’experts pour devenir acteurs dans le débat public » estime ainsi M. Bernas (qui nous a confié avoir également envoyé son texte aux Etats-Unis, recueilli les signatures de deux confrères, Russe et Letton et être en attente de deux autres, Américain et Allemand pour cette version anglaise) Il appelle les spécialistes à réagir : « Sans arrogance et avec leurs concitoyens, il est grand temps pour eux de s’exprimer massivement et partager les responsabilités des décisions sociétales. »

De fait, de nombreux scientifiques nous ont adressé des mails au cours de ces dernières semaines, nous confiant parfois leur désarroi et se disant « bouleversés » par la tragédie du séisme suivi du tsunami, puis par la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, depuis le 11 mars. L’un d’eux nous écrivait aussi : « Je pense qu'il faut remettre les scientifiques (les vrais spécialistes des domaines concernés au cas par cas) au centre du contrôle et de la gestion des nouvelles technologies, évidemment avec une transparence totale  et en coopération avec les politiques ». C’étaient des échanges privés qui montraient de fortes interrogations, les physiciens ayant été « échaudés » à plusieurs reprises et de façon violente. Jadis, par le nucléaire militaire avec les deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki – Robert Oppenheimer, le chef du projet Manhattan (de fabrication de la bombe par les Etats-Unis) en avait déclaré : « Les physiciens ont connu le péché ». On sait aussi qu’après la deuxième guerre mondiale, était né le mouvement Pugwash (1), qui s’interrogeait sur les dangers des technologies, et tout particulièrement lors de la course aux armements pendant la guerre froide. Plus récemment, ce furent, pour le nucléaire civil, l’accident de Three Mile Island (1979) aux Etats-Unis puis la catastrophe de Tchernobyl (1986) en Ukraine, dont on « célèbre » aujourd’hui les 25 ans - les responsables politiques s’efforçant de réunir plus de 700 millions nécessaires à la construction d’un nouveau sarcophage.
Cet appel arrive alors qu’un article pour le moins surprenant vient de paraître sur le site du journal de référence scientifique Nature (3), une interview de M. Laurent Stricker, ingénieur nucléaire et ancien directeur de centrale, conseiller de l’opérateur français EDF et aujourd’hui président de la WANO (association mondiale des opérateurs nucléaires). On sait l’importance de cette association basée à Londres, créée en 1989 après la catastrophe de Tchernobyl, et qui s’est déjà interrogée sur  la négligence dans certaines centrales, mettant en péril la pérennité de l’industrie nucléaire mondiale [lire aussi le blog du 28 mars (1)]. A la dernière question de l’interview demandant si l’énergie nucléaire prendrait fin au cas où un autre accident majeur aurait lieu, M. Stricker répond tout de go : Je le crains. Comme nous le constatons avec Fukushima, un accident dans un pays a des conséquences pour tous les opérateurs, partout ailleurs.

POUR TOUS LES OPERATEURS ? Et pour TOUT le monde ? No coment ! 




2)   Ce mouvement qui a obtenu le prix Nobel en 1995, avec son cofondateur Sir Joseph Rotblat, s’est donné pour mission (notamment à travers les conférences Pugwash) d’apporter des éléments scientifiques et réflexions éthiques approfondis pour s’interroger sur les menaces que peuvent créer la science et la technologie. Et tout particulièrement la menace des armes nucléaires, auxquelles le fameux manifeste Russell-Einstein de 1955 demandait de renoncer. Lire aussi blog du 28 mars : http://sciencepourvousetmoi.blogs.sciencesetavenir.fr/arc...




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